L'événement du mois
-- JUILLET 2001 -- N° 653
Pour la
première fois, un laser mobile déclenche
un éclair
Le laser fait craquer la foudre
Les
dégâts humains et matériels qui
accompagnent les orages ne seront peut-être bientôt
plus qu'un mauvais souvenir.
Dans le hangar
de l'université technique de Berlin, un
éclair blanc très intense et parfaitement
rectiligne jaillit dans l'air entre deux énormes
bouées métalliques séparées
d'environ quatre mètres. Le bruit qui accompagne
la décharge oblige les observateurs à se
boucher les oreilles. Un vrai coup de tonnerre. Un
vrai coup de foudre, même. En contemplant,
quelques jours plus tard, les images de cet éclair,
Roland Sauerbrey, de l'université d'Iéna
(Allemagne), n'en revient pas. " Alors, où va-t-on
faire tomber la foudre en extérieur, en Floride
ou au Brésil ? ", lance-t-il à ses
collègues français du Laboratoire
d'optique appliquée (LOA). Autour de lui, l'enthousiasme
est à son comble et les valises presque prêtes.
Domestiquer la foudre, ce vieux rêve de physicien,
est peut-être à portée de main. De
laser en tout cas.
Car
l'étincelle qui a déclenché l'éclair
provient d'une source de lumière cohérente
: un laser d'une puissance d'un térawatt, soit mille
milliards de watts, ou encore l'équivalent
de mille centrales nucléaires (voir Sciences
et Avenir n° 652). Fruit d'une collaboration
franco-allemande entre les universités de Lyon,
Iéna, Berlin et le LOA, ce laser a été
fabriqué par l'entreprise Thales (ex-Thomson) avec
des financements exceptionnels du CNRS et de son homologue
allemand. Une de ses particularités est d'être
le laser transportable le plus puissant au monde.
Pas dans une valise certes, mais dans un conteneur
de 6 m sur 2,5 m pour une masse de 8 tonnes. D'où
son nom de Teramobile. Parti en avril du campus de l'Ecole
polytechnique à Palaiseau après avoir émis
ses premiers rayons, l'engin a rejoint le hangar de
Berlin pour faire parler la foudre, EDF ayant
refusé de faire les tests dans son propre
centre d'essais. Puis ce sera Iéna, et enfin Lyon.
Mais
comment une telle puissance déclenche-t-elle
des éclairs ? En fait, tout se passe comme si
le laser créait un fil électrique éphémère
le long de sa propagation dans l'air : après son
passage, les électrons des molécules de l'air
sont arrachés et le milieu devient
conducteur. Les charges électriques d'un nuage
d'orage, ou d'une électrode chargée dans
un hangar, n'ont plus alors qu'à suivre ce chemin
pour descendre jusqu'à terre... en un éclair.
De plus, non seulement le laser induit ce claquage,
mais en plus il le guide sur un trajet parfaitement
rectiligne (voir photo p. 7). Rien à voir
avec les décharges artificielles ou naturelles
lors desquelles l'éclair cherche sa voie, parfois
très tumultueuse. Ici, on lui montre le chemin.
Ainsi, tous les espoirs sont autorisés pour, à
l'extérieur, faire tomber la foudre à l'endroit
voulu. Et éviter ainsi les dégâts humains
et matériels qui l'accompagnent (lire
l'encadré ci-contre).
Les
Canadiens sont extrêmement intéressés
par ces projets, notamment le principal fournisseur
d'électricité, Hydro-Québec,
dont de nombreux pylônes sont détruits
par la foudre. Ils ne sont pas les seuls. Justement,
un colloque sur ce sujet, tenu à Montpellier en
mai dernier, rappelait le plan de bataille pour contrôler
les dangereux hoquets de Zeus : il suffirait d'envoyer
un faisceau laser vers un cumulo-nimbus menaçant
et d'installer la pointe d'un paratonnerre sur la
trajectoire du rayon. Une fois impulsée par
le laser, la foudre suivrait la ligne induite par
le faisceau jusqu'au paratonnerre qui anéantit
la charge dans la terre.
Simple en
apparence, cette idée des années 70
devient accessible grâce aux récentes
expériences du Teramobile, ainsi que de quelques
autres à peine moins spectaculaires réalisées
au Japon ou en Amérique du Nord. La prudence est
cependant encore de mise, tant il y a loin des éclairs
de quelques mètres à ceux de
plusieurs kilomètres dans le ciel. De toute
façon, malgré leur enthousiasme, les chercheurs
n'ont pas encore trouvé le financement pour tester
grandeur nature leur idée. Mais en attendant ce
tir ultime, les projets ne manquent pas.
D'abord,
le Teramobile est aussi un remarquable détecteur
de polluants atmosphériques. Basée sur le
même principe qu'un radar de lumière
(un Lidar), la technique utilisée permet
d'identifier un grand nombre de polluants comme le
méthane ou des composés organiques volatils
(COV). Avantage sur les Lidar déjà en fonctionnement,
sa fenêtre de fréquences est plus large
et, en un seul coup, un grand nombre d'espèces
chimiques sont repérées. A Lyon, des fumées
de cheminées industrielles serviront
bientôt de cibles pour valider le dispositif.
Autre
projet futuriste : faire du Teramobile un " allumeur
de réverbères " pour les astrophysiciens.
En d'autres termes, créer une étoile artificielle
qui servirait de référence pour étalonner
les télescopes. En effet, la propagation
spécifique du laser lui fait garder une
rectitude parfaite sur plusieurs kilomètres.
De quoi atteindre les hautes couches atmosphériques
où, en bout de course, le laser brillera comme une
étoile, parfaitement localisée. Un phare
idéal pour les astronomes.
Dans le
même temps, les chercheurs devront comprendre
la propagation étrange de cette lumière
qui crée des filaments conducteurs sur plusieurs
dizaines de mètres. Voire plusieurs kilomètres
si les prochaines expériences le confirment.
Soit suffisamment pour chatouiller la base des
cumulo-nimbus porteurs de foudre. Et oser partir
à leur rencontre autour du monde.
David Larousserie
La foudre en chiffres
Une décharge
électrique de 10 à 20 millions de
volts et plus de 20 000 ampères.
50 % des
perturbations des réseaux électriques.
100
éclairs par seconde dans le monde.
Un
million d'impacts par an en France responsables de
20 à 40 décès, 20 000 animaux tués
et 15 000 incendies en moyenne.
La foudre
provient de cumulo-nimbus planant à environ
2000 mètres d'altitude.
Une puissance colossale
Laser unique
au monde, le Teramobile ne pèse que 2 tonnes, et
il est transportable dans un conteneur trois fois plus
gros. En un temps extrêmement bref de 70
millionièmes de milliardièmes de
secondes, une énergie de 350 millijoules seulement
est libérée. Mais cela suffit à produire
une puissance colossale de 5 térawatts (équivalant
à 5000 centrales nucléaires). Cela à
raison de dix fois par seconde. L'intensité est
telle que le rayon ionise l'air et reste
parfaitement canalisé sur plusieurs kilomètres.
Si ce laser n'a coûté que 500 000 euros environ,
le budget de la collaboration atteint les trois
millions d'euros pour quatre ans. Il faut dire que
l'engin consomme près de 100 litres de fuel
par jour d'expérience, notamment à cause
de ses trois climatiseurs.
Sciences
& Avenir N°653
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