comprendre Physique -- JUIN 2001
-- N° 652
D'une puissance
égale à 100000 centrales
nucléaires
Les lasers de l'extrême
Champs
magnétiques énormes, accélérations
gigantesques, pressions colossales : des expériences
inouïes sont réalisées grâce aux
lasers les plus puissants du monde. Gros plan sur une
nouvelle façon de faire de la physique.
Nous
avons parfois l'impression de chatouiller la queue
du dragon ", prévient Philippe Balcou du Laboratoire
d'optique appliquée (Palaiseau) en parlant de son
activité. Une impression largement confirmée
lorsque l'on voit la " bête ", un des lasers les
plus puissant au monde : 100 térawatts, soit 100
000 milliards de watts et l'équivalent de 100
000 centrales nucléaires ! Le tout dans le
paisible sous-sol d'un ancien site militaire en
banlieue parisienne. Et comme si cela ne suffisait
pas, un autre monstre existe à quelques pas de là,
à l'Ecole polytechnique, au Laboratoire pour l'utilisation
des lasers intenses (Luli). En attendant, l'an prochain,
son successeur... dix fois plus puissant : Luli
2000.
Mais que
sont ces lasers ? Une nouvelle arme, une nouvelle
source d'énergie, une nouvelle science ? Un
peu des trois à la fois, tant ces outils permettent
d'explorer des domaines inconnus jusqu'alors dans la nature...
à l'exception des étoiles. Champs magnétiques
énormes (des milliards de fois plus intenses
que celui de notre planète), accélérations
gigantesques (1021 fois l'accélération terrestre),
pressions colossales (1012 fois la pression
atmosphérique), sont facilement à
leur portée. Dans cet environnement extrême,
la matière a le tournis. Les particules se déplacent
à la vitesse de la lumière, les matériaux
opaques deviennent transparents, la durée de vie
des particules s'allonge, la lumière se
tord...
Un seul
de ces effets aurait suffi à combler d'aise
n'importe quel physicien, mais devant unetelle abondance,
nul ne sait encore quelle application dominera. Alors,
en attendant, les expériences spectaculaires se
succèdent. A un rythme effréné
(lire l'encadré p. 109). " Au Luli, en six
semaines d'expériences, des équipes
obtiennent jusqu'à quatre articles dans Physical
Review Letter [une revue primaire très cotée
] ", lance fièrement, Arnold Migus, le directeur.
Bref, de la physique nucléaire jusqu'aux
matériaux en passant par l'astrophysique,
les chercheurs en redemandent.
Et les
militaires aussi. En fait, les records de puissance
leur appartiennent ou leur appartiendront. En France,
avec le laser Mégajoule, et aux Etats-Unis, avec
le projet NIF, les militaires seront les vedettes de la
décennie. Le but ? Tester et simuler les explosions
nucléaires, en réalisant des réactions
de fusion thermonucléaire grâce à une
multitude de faisceaux lasers comprimant la cible.
Mais les civils lorgnent aussi sur ces géants
car la fusion est la source de la lumière des étoiles,
donc une source d'énergie prometteuse. Et qui sait
si l'histoire ne bégaiera pas en faisant
jaillir de ces lasers de futures piles, comme de la
bombe A sortirent nos centrales nucléaires ?
Preuve en tout cas de cette convergence d'intérêts,
les physiciens du Commissariat à l'énergie
atomique (CEA), maîtres d'uvre du Mégajoule,
" s'entraînent " sur les installations du
Luli
Mais si
l'avenir de ces lasers reste flou, leur histoire
est bien connue. Presque un conte de fée même.
Avec en personnage principal, un Français, Gérard
Mourou. Désormais installé aux Etats-Unis,
il a inventé le système qui a "
réveillé " des dragons quelque peu
assoupis. En effet, en moins de dix ans, les lasers
ont fait autant sinon plus de chemin qu'en trente années,
pour atteindre des sommets impensables. Qui plus est sans
trop bouleverser les vieilles installations. Une anecdote
en témoigne à merveille. En 1991, le CEA
s'apprêtait à mettre à la casse
l'une de ses anciennes gloires, le laser P102.
Arrive alors Gérard Mourou, soutenu par Robert
Dautray (l'un des pères de la bombe H française).
En un tournemain, le laser has been est propulsé
à la première place mondiale où il
restera cinq ans, jusqu'en 1996. Un gain d'un facteur mille
obtenu en ajoutant simplement, en amont et en aval
de l'installation, deux boîtiers (voir
schéma ci-dessous). Depuis, tout le monde utilise
la méthode miracle et Gérard Mourou ne compte
plus les super lasers qu'il a utilisés. Un regret
pourtant, ne pas avoir déposé de brevets...
L'engouement est tel que les projets se multiplient (lire
l'encadré p. 109). Equipes particulièrement
jeunes (30 ans de moyenne d'âge contre 50 au CNRS)
; collaborations étroites avec les industries ;
faibles coût et taille des équipements, c'est
peut-être aussi la manière de faire de
la physique qui est en train de changer. " Ce
nouvel outil est une espèce d'intégrateur
scientifique ", résume Gérard Mourou. " Les
bonds technologiques aussi importants sont rares, mais
la course à la puissance n'est pas le plus important.
Nous rentrons dans un nouveau régime pour la
physique ", poursuit-il.
Revers de
la médaille, utiliser de tels outils n'est
plus sans risque. Rayons gamma, bêta ou X peuplent
désormais les installations. Depuis deux ans, les
personnels du LOA sont soumis au même suivi médical
que ceux des sites nucléaires. Le dragon est
décidément chatouilleux.
David Larousserie
Les nouveaux dragons
Etats-Unis, Japon,
Europe, les projets fleurissent. Sélection.
L'éphémère
: Le laser le plus puissant au monde n'aura pas
fait de vieux os, quatre ans de vie seulement.
D'une puissance de plus d'un petawatt (1000 térawatts),
le " monstre " du Lawrence Livermore National Laboratory
(Californie) a été le premier à
réaliser des expériences
significatives de physique nucléaire. Le bombardement
de cibles d'or s'est accompagné de création
d'antimatière.
Le
français : Luli 2000, installé à
l'Ecole polytechnique (Palaiseau) disposera l'an prochain
d'une puissance d'un petawatt avec une cadence prévue
de dix tirs par seconde dans six ans.
L'avenir
: Le projet américain NIF a pour objectif la
fusion thermonucléaire. D'une puissance de
presque 2 petawatt, ce laser dardera ces 192 faisceaux
à l'horizon 2005 pour simuler les explosions nucléaires
mais aussi pour tester la viabilité des réacteurs
à fusion. Cinq ans plus tard, son équivalent
français, le laser Mégajoule, sera
prêt. Un premier élément sera
testé cette année.
Lasers à tout faire ou presque
Fusion :
Au Lawrence Livermore National Laboratory (Californie,
Etats-Unis) mais aussi en France, ont été
réalisées récemment des réactions
de fusion nucléaire. Mais ces expériences
sont loin de produire assez d'énergie pour
espérer concurrencer les centrales
nucléaires. En revanche, elles ont produit assez
de neutrons pour espérer en faire un jour une source
utile pour sonder les propriétés physique
des matériaux.
Particules : Grâce
à ces lasers, les accélérateurs
de particules seront épais comme un cheveu. En effet,
la puissance laser est telle que les électrons
ou les protons des atomes sont entraînés
à des énergies énormes sur de très
petites distances. Pour le moment, les dispositifs
concurrencent les grands accélérateurs...
des années 60. Pas encore très compétitifs,
donc, mais certains songent à s'en servir
comme injecteurs dans les futurs grands accélérateurs
de particules.
Compact :
Autre projet d'avenir, le Téramobile. En
matière de compacité difficile de faire
mieux. Ce laser térawatt tient dans un conteneur
embarqué sur un poids lourd. Facile à déplacer,
il servira à sonder les polluants des couches
atmosphériques.
Laser X :
Un rêve ancien est peut-être proche
d'être réalisé : disposer d'un
laser à rayons X, c'est-à-dire d'un scalpel
de lumière cohérente. Des hologrammes de
cellules vivantes seraient alors possibles. Au LOA, notamment,
de premiers pas sont très prometteurs.
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