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Par quelle magie ? En créant une sorte de fil électrique éphémère entre le sol et la base des nuages. En effet, si le laser est assez puissant, il arrache sur son passage les électrons des molécules de l'air. Le canal ionisé ainsi formé devient alors un excellent conducteur. Les charges électriques accumulées dans le nuage seront tout aise de trouver ce pont par où s'échapper. Elles suivront alors ce canal rectiligne plutôt que le chemin erratique qui leur était promis. On perdra en beauté ce qu'on gagnera en sécurité. La course de ces charges électriques s'achèvera sur la pointe d'un classique paratonnerre effleurée par la lumière laser. Et le tour est joué. Demain, la foudre tombera là où on lui dira de tomber. En théorie du moins. En pratique aussi, ou presque. L'idée de déclencher ou de guider la foudre par des lasers n'est pas neuve. Dès la fin des années 70, les Soviétiques utilisaient des lasers, instruments balbutiants à l'époque, pour ce genre d'expériences. Sans obtenir de succès probants. Plus têtus, les Japonais se lancèrent dans l'aventure, dix ans plus tard, avec également des tirs grandeur nature sous les orages. Malheureusement, comme pour les expériences sur la pluie ou la grêle, il se passa bien quelque chose, mais sans que la communauté scientifique soit convaincue. L'une de leurs heures de gloire restera la création en laboratoire d'un éclair en forme de Z en hommage à l'un des chercheurs dont le prénom commence par cette lettre. Cela ne suffit pas à convaincre les industriels qui, après d'importants investissements dans ces projets, retirèrent leurs fonds. La loi des lasers " Ils ont voulu aller trop vite ", constate Henri Pépin de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), l'équivalent canadien du CNRS. Désormais, son projet est presque le seul à reprendre le flambeau avec, cette fois, de réels espoirs de parvenir à ce but exaltant du contrôle de la foudre. Voilà cinq ans qu'il y travaille, et la première phase s'est achevée avec succès l'an dernier. " Les travaux en plein air pourront commencer en 2003 ", annonce-t-il. Pourquoi réussirait-il là où Russes et Japonais ont échoué ? Depuis trente ans, la technologie laser a progressé, explosé même. Notamment en ce qui concerne la puissance des instruments. En trente ans, ils ont gagné un facteur cent millions pour atteindre les petawatts, c'est-à-dire 1015 watts. Attention de ne pas confondre ces watts-là avec ceux d'une centrale électrique. Dans le cas des lasers, ces sommets sont atteints car une petite quantité d'énergie est libérée (un peu moins que l'énergie déployée pour soulever un litre de lait de dix centimètres) en un minimum de temps (mille fois moins qu'un milliardième de seconde, soit 10-12 seconde, ou une picoseconde). Là réside le principal progrès : diminuer sans cesse la durée de l'impulsion laser. Les Japonais travaillaient avec des trains d'ondes de quelques dizaines de nanosecondes (soit 10-9), quand les Canadiens disposent d'impulsions d'un million de fois plus courtes (soit 10-15 ou femtoseconde). Des horizons nouveaux se sont alors ouverts pour la physique (lire Sciences et Avenir n° 652, juin 2001). Y compris dans le déclenchement des éclairs par laser. Un chercheur, Jean-Claude Diels, de l'université du Nouveau-Mexique, a même déposé un brevet sur cette technique en 1991. Les équipes canadiennes de l'INRS et d'Hydro-Québec (le fournisseur d'électricité du pays) ont, quant à elles, montré que c'était réalisable dans leurs laboratoires d'essais. Sur plusieurs mètres, elles ont fait " claquer " la foudre entre deux électrodes. Puis, nouvelle lueur d'espoir quelques mois plus tard, avec le même genre d'expériences, mais en Allemagne et grâce à un laser " portable ", le Teramobile (lire Sciences et Avenir n° 653, juillet 2001). Portable, comparé au laser canadien, car il tient dans un conteneur de 6 mètres sur 2,5, alors que son concurrent occupe une salle presque dix fois plus grande. Dans quelques années, avec le développement de nouvelles diodes laser, il tiendra sur un bureau. Une révolution qui s'annonce aussi importante que le passage de la lampe transistor aux transistors électroniques. En attendant, le premier essai du Teramobile fut un coup de maître ; les oreilles de l'équipe franco-allemande s'en souviennent encore. Beauté de la science sans frontières, les deux groupes sont actuellement en pourparlers pour une collaboration. Des deux côtés, l'impatience est grande. Le Teramobile, qui s'est déjà promené de Palaiseau (Essonne) à Berlin puis à Lyon, pourrait bien franchir l'Atlantique dans les prochains mois pour des essais grandeur nature. La Floride, royaume des orages La destination de rêve serait la Floride. Pas pour le bronzage, mais pour la fréquence de ses orages : 90 jours par an. Trois fois plus que sur les anciens terrains d'essais français à Saint-Privat-d'Allier (Haute-Loire). Camp Blanding, en Floride, en plus d'un terrain d'entraînement militaire, est donc devenu le lieu international des experts ès orages. Depuis longtemps, on y fait tomber la foudre... sans laser ! La méthode est rustique mais efficace à plus de 70 % : une fusée est lancée vers le nuage avec un fil de cuivre se déroulant à son extrémité. Contrairement au laser, ici, le fil n'est pas virtuel. Selon les conditions météorologiques, la présence de ce conducteur métallique dans l'atmosphère déclenche l'éclair et le guide jusqu'au sol. C'est à un amateur éclairé, comme Benjamin Franklin, que l'on doit la méthode. Au début des années 60, un Américain, le Pr Newman, parcourait la mer de Chine en quête d'orages sur lesquels il tirait ses fusées... pour en faire tomber les éclairs. Un miracle qu'il ne se soit pas tué ! Puis, au début des années 70, les Français d'EDF et de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onéra) ont amélioré cette technique un peu casse-cou, jusqu'à ce qu'elle devienne une routine sur tous les sites du monde. Pratique pour les études scientifiques, le dispositif n'est cependant guère commode pour la protection des installations. En Haute-Loire, les voisins du site expérimental se plaignaient de retrouver des fils et des fusées dans leur champ. Alors en milieu urbain ! " Avec le laser, ce sera bien plus élégant, promet Anne Bondiou-Clergerie, de l'Onéra, qui a collaboré au projet canadien d'Henri Pépin (INRS), mais ce n'est pas pour demain. " Toutefois, les deux systèmes pourraient se compléter idéalement. La fusée et son fil seraient lancés à la rencontre des éclairs descendant des nuages, et le laser viserait l'extrémité du fil pour achever le guidage jusqu'au sol. Cependant, certains pensent que ce mariage n'est pas nécessaire ; le laser seul pourrait suffire et donc avantageusement remplacer les paratonnerres pour protéger les installations. En effet, si le " claquage " de l'air a été démontré sur plusieurs mètres dans les laboratoires, il est probable que le canal ionisé soit en fait plus long et qu'ainsi le faisceau puisse chatouiller suffisamment près les cumulo-nimbus pour libérer des éclairs précoces. " Grâce au laser, on pourrait "décharger" les nuages loin d'un site sensible et éviter ainsi les problèmes de foudre rampante qui peuvent causer beaucoup de dégâts ", explique Gérard Berger, chercheur du CNRS, au Laboratoire de physique des gaz et des plasmas de l'université d'Orsay. Et comme si cela
ne suffisait pas, certains des plus ardents
défenseurs de ce dispositif pensent qu'en plus de
faire tomber la foudre, le laser ferait tomber la pluie.
Soit sous l'effet de l'onde de choc successive à
l'éclair. Soit par la suppression du champ
électrique qui retient suspendues les gouttelettes
d'eau ionisées. Soit par un autre
phénomène. Qui sait ? Ce qui est sûr,
c'est qu'il pleut souvent avant l'arrivée des coups
de tonnerre. Les paysans, inquiets de l'effet des
fusées lancées à l'époque des
essais à Saint-Privat-d'Allier, n'ont pas fini de
s'alarmer des rais qu'ils verront, un jour, strier le ciel,
les soirs d'orage... David Larousserie |